- MÉTÈQUES
- MÉTÈQUESLe terme «métèque» (metoikos ) désigne, à Athènes, à l’époque classique, une catégorie particulière d’étrangers qui, moyennant un certain nombre d’obligations, obtiennent le droit de résider sur le territoire de la cité, de s’y livrer à leurs activités professionnelles, et sont assurés d’une protection juridique qui les garantit contre toute atteinte.On ne sait exactement à quel moment le statut de métèque a été fixé à Athènes. Aristote, dans la Politique , dit que Clisthène, pour accroître le nombre des citoyens athéniens, fit entrer dans le corps civique des esclaves et des métèques, ce qui a amené certains historiens modernes à faire remonter assez haut la fixation du statut de métèque. En fait le sens du texte d’Aristote n’est pas très clair, et il est permis de penser au contraire que c’est Clisthène qui, en définissant pour la première fois les critères d’accès à la citoyenneté (508 av. J.-C.), aurait du même coup précisé le statut de ceux qui, tout en résidant en Attique, demeuraient à l’écart du corps des citoyens. De fait, c’est à partir de la fin du Ve et surtout au IVe siècle qu’il est possible, à travers l’étude des textes et des inscriptions, de définir le statut juridique des métèques et leur place dans la vie de la cité.Statut juridiqueLe métèque est un étranger qui a choisi de se fixer en Attique. En cela, il se distingue de l’étranger de passage. Il est d’une certaine manière intégré à la communauté athénienne; mais, par rapport au citoyen, il reste un inférieur. Pour reprendre une image d’Aristophane dans Les Acharniens , les métèques «forment le son des citoyens», ces derniers constituant évidemment la fine fleur du blé.Ce double caractère apparaît dans le statut du métèque. Comme le citoyen, il est astreint aux charges militaires et financières, et les métèques riches peuvent être appelés à remplir certaines liturgies. Toutefois, si le métèque sert comme hoplite, il ne peut être cavalier, la cavalerie restant l’arme noble. Parmi les liturgies, la triérarchie, c’est-à-dire l’équipement et le commandement d’une trière, lui demeure interdite. Il est par ailleurs astreint au paiement d’une taxe modique, le metoikion , qui le distingue du citoyen.Il bénéficie de la protection des tribunaux athéniens. Mais, théoriquement au moins, il ne peut se présenter en justice sans recourir à un prostatès , à un «patron» citoyen qui se porte garant de sa qualité de métèque. Au IVe siècle, l’obligation de la garantie du prostatès semble décliner, surtout à partir du milieu du siècle lorsque les actions commerciales, auxquelles les métèques sont particulièrement intéressés, bénéficient d’une procédure accélérée. Toutes les autres actions concernant les métèques relèvent du tribunal présidé par l’un des neuf archontes, le polémarque.Le métèque, enfin, se distingue juridiquement du citoyen en ce qu’il n’a pas le droit de posséder de biens fonds: la propriété du sol reste un privilège exclusif du citoyen et seule l’attribution à titre individuel du privilège d’enktèsis permet à un métèque de se rendre acquéreur d’une terre.Pour le reste, le métèque partage les droits et les obligations privées du citoyen; il est inscrit sur les registres d’un dème; il participe aux sacrifices et aux fêtes religieuses de la cité: il figure dans la procession des Panathénées, il peut être chorège aux Grandes Dionysies, enfin et surtout il prend part à toutes les fêtes locales.Place dans la vie de la citéÀ combien pouvait s’élever le nombre des métèques à Athènes à l’époque classique, et quelle était leur importance par rapport aux citoyens? Ce sont là questions dont les historiens modernes n’ont pas fini de débattre. En effet, on ne possède pratiquement aucune indication chiffrée à ce sujet avant la fin du IVe siècle, où un texte discutable et tardif évalue à 10 000 le nombre des métèques et à 21 000 celui des citoyens. Au Ve siècle, au moment où débute la guerre du Péloponnèse, le nombre d’hoplites métèques dont dispose Athènes représente à peu près le tiers du nombre des hoplites citoyens et l’on a pu, partant de ces données très fragmentaires, évaluer le nombre des métèques à 15 000 à la fin du Ve siècle.Ces métèques constituent donc un groupe important dans la cité. Pour la plupart, ils sont artisans ou commerçants. L’un des mieux connus à la fin du Ve siècle est l’armurier Kephalos qui possède au Pirée un atelier où travaillent 120 esclaves. Képhalos est un Syracusain d’origine, venu s’établir à Athènes pour y exercer son métier pendant la guerre du Péloponnèse. Fort riche, il a rempli de nombreuses liturgies et fait donner à ses fils, Lysias et Polémarque, une éducation soignée. Dans sa maison se réunissent les esprits les plus brillants de l’Athènes de la fin du Ve siècle, et Platon y situe le cadre du dialogue de La République . Affranchi, l’ancien esclave Pasion reçoit d’abord le statut de métèque et dirige la plus grande banque d’Athènes avant de recevoir la citoyenneté athénienne pour prix des services rendus à la cité. Les plaidoyers de la seconde moitié du IVe siècle évoquent un grand nombre de métèques armateurs ou commerçants en gros.Mais d’autres ont des activités plus modestes: ouvriers sur les chantiers de construction publique ou dans les mines et les arsenaux, aubergistes, cuisiniers, petits revendeurs sur l’agora, boutiquiers, parfumeurs ou encore entremetteurs, loueurs de joueuses de flûte.D’autres, enfin, exercent la médecine ou sont venus à Athènes pour suivre les leçons des philosophes, voire pour y ouvrir leur propre école. On suppose généralement, sans en être sûr, qu’Aristote et Zénon ont eu le statut de métèque. Tenant entre leurs mains une partie de l’activité économique d’Athènes, jouant parfois un rôle important dans la vie intellectuelle de la cité, les métèques n’en restent pas moins des étrangers et comme tels demeurent à l’écart de la vie politique. La politique de la cité se décide, en effet, au sein d’assemblées où seuls les citoyens ont droit à la parole et le plus humble d’entre eux pèse d’un plus grand poids que le plus riche métèque.Pourtant, les métèques ont été amenés à plusieurs reprises à jouer un certain rôle dans l’histoire politique de la cité. En 415, à la veille de l’expédition athénienne en Sicile, des métèques se sont trouvés impliqués aux côtés d’Alcibiade dans l’affaire de la mutilation des hermès, ces bornes de pierre qui étaient placées à l’entrée des maisons et aux carrefours. En 404, lorsque, après la défaite d’Athènes, un gouvernement oligarchique avait été placé à la tête de la cité, des mesures furent prises contre les métèques riches, et un certain nombre d’entre eux, dont Lysias, le fils de Kephalos, réussirent à s’enfuir auprès du démocrate Thrasybule qui, de Thèbes, préparait la restauration de la démocratie. Thrasybule, vainqueur, proposa que la citoyenneté fût accordée aux métèques qui avaient défendu la démocratie, mais sa proposition fut rejetée.Cela, joint à certaines difficultés économiques d’Athènes au début du siècle, eut pour effet d’éloigner certains étrangers de la cité. Dans son traité des Revenus , Xénophon envisage les moyens de faire revenir nombreux à Athènes et au Pirée les métèques qui ont déserté l’Attique: la possibilité de servir dans la cavalerie, une réduction des charges financières, une procédure judiciaire accélérée pour les affaires commerciales. Sur ce dernier point, on a déjà vu que la proposition de Xénophon avait été suivie d’effets puisque après 350 les dikai emporikai , les actions judiciaires, sont jugées dans un délai d’un mois et qu’étrangers et citoyens bénéficient désormais des mêmes avantages. Cela eut-il pour effet de ramener les étrangers résidents à Athènes? À cette question il est difficile de donner une réponse précise. Mais, d’études récentes, il ressort qu’au IVe siècle la mobilité des métèques a dû être beaucoup plus grande qu’au siècle précédent. De plus en plus nombreux parmi eux sont les Barbares, Asiatiques ou Égyptiens, qui ne se fixent au Pirée que pour une période limitée, alors qu’au siècle précédent la plupart des métèques étaient des Grecs venus s’établir définitivement à Athènes. Dans le dernier tiers du IVe siècle, des commerçants égyptiens reçoivent l’enktèsis pour pouvoir acquérir une terre sur laquelle s’élèvera un sanctuaire d’Isis. Le même privilège est accordé pour un sanctuaire d’Aphrodite à des commerçants de Kition, dans l’île de Chypre. Au moment même où la qualité de citoyen se vide d’une partie de son contenu du fait du déclin des institutions et de la conquête macédonienne, l’étranger domicilié, Grec ou Barbare, bénéficie de privilèges de plus en plus étendus et voit peu à peu se combler le fossé qui à l’origine le séparait du citoyen. Mais en même temps, il est plus mouvant, moins étroitement intégré à la communauté qu’au siècle précédent.Le statut et l’importance des métèques sont surtout sensibles à Athènes. Mais de même que les institutions politiques athéniennes ont été adoptées au Ve et surtout au IVe siècle par de nombreuses cités grecques, de même aussi la condition de métèque s’est généralisée à l’ensemble du monde grec et l’on rencontre partout des étrangers domiciliés à la fin de l’époque classique. Des quelques textes qui les concernent et qui sont parvenus jusqu’à nous, il ressort que leur condition juridique était sensiblement la même que celle des métèques athéniens, et leur place comparable dans la vie de la cité qui les avait accueillis.
Encyclopédie Universelle. 2012.